jeudi 20 décembre 2012

Chapelle de la Trinité, 67 rue du Mont Cenis [1579-1920]


Située dans l'ancien hameau de Clignancourt, au nord de la Butte Montmartre, cette chapelle fut construite à la fin du XVIème siècle pour les besoins privés de Jacques Liger, conseiller du roi et propriétaire de la seigneurie de Clignancourt. Cette chapelle, écrit Jacques Hillairet dans son Évocation du Vieux Paris, « jouait un rôle important dans le déroulement des célèbres processions septennaires de l'abbaye de Saint-Denis à l'abbaye de Montmartre. Le clergé se rendait alors au devant du grand cortège jusqu'à cette chapelle où les religieux de Saint-Denis s'arrêtaient pour faire oraison ; les deux cortèges se fondaient ensuite. »

L'affectation du bâtiment changea considérablement au fil du temps, et notamment après la Révolution, lorsqu'on le vendit en 1796 comme bien national. Tour à tour poste de pompiers, débit de vin et même cabaret, cette singulière bâtisse - mordant le trottoir de la rue du Mont-Cenis sur plusieurs mètres - fut démolie vers 1920.


Un cinéma de 2000 places - le Marcadet Palace - fut construit en 1921 sur cette parcelle ouvrant à la fois sur la rue du Mont-Cenis et au 110 de la rue Marcadet (on distingue au fond à gauche sur le cliché ci-dessus la façade donnant sur la rue Marcadet, avec ses grandes baies arrondies).

A son tour, le cinéma sera détruit en 1974, laissant place aujourd'hui à une de ces résidences contemporaines sans cachet, de forme tristement anguleuse, en béton crasseux, avec pour seul ornement des balconnets cubiques barricadés d'aluminium et de verre pour l'agrément supposé de ses occupants, et le désagrément plus évident des passants et surtout du voisinage.

Le bâtiment ayant pris la place de la chapelle de la Trinité

dimanche 12 août 2012

Immeuble au 32 rue des Trois Frères [1850-201?]

A gauche de l'escalier de la rue Drevet, l'immeuble vers 1900.

C'est un petit immeuble montmartrois typique, sur deux étages, construit en 1850. Un immeuble comme il en existe beaucoup sur la Butte, et un immeuble qui, ces dernières décennies, fut aussi mal entretenu que bien d'autres dans le quartier.

En 2004, des mesures sont prises par la Préfecture de Police, pour contraindre les copropriétaires de cette construction menacée d'effondrement à engager les travaux nécessaires à sa préservation.

L'immeuble est protégé par le Plan Local d'Urbanisme, et au vu de l'état déplorable du bâti qui selon le Bureau de la Sécurité de l'Habitat menace également les immeubles voisins, les travaux à engager sont très coûteux. Le temps passe, les dégâts s'aggravent mais aucune décision n'est prise par les copropriétaires malgré les injonctions répétées des autorités. 

Au matin du 6 septembre 2010, une voiture brûle au pied de l'immeuble. Quelques heures plus tard, c'est au deuxième étage que le feu prend et ravage ce que le premier feu n'avait fait que lécher. Deux incendies en quelques heures, au même endroit. Des soupçons d'acte criminel sont évoqués, une enquête est ouverte, ses conclusions restent inconnues à ce jour... L'immeuble a tant souffert de l'incendie qu'il n'est plus maintenant question de le restaurer à grands frais, mais tout bonnement de le raser.

L'immeuble, peu après l'incendie de 2010

Depuis cette date, l'angle de la rue des Trois Frères et de la rue Drevet offre le spectacle de désolation d'un édifice en sursis, condamné à la démolition, comme n'appartenant plus à personne, si bien que de navrants poètes et des peinturlureurs en aérosol l'ont adopté comme support de leur pauvre expression, au grand plaisir, dit-on, des riverains bobos et des touristes qui voient sans doute dans cette façade souillée à la manière d'un ghetto new-yorkais une curiosité typiquement montmartroise. Reste la question cruciale : que va-t-on reconstruire, dans ce quartier jusqu'ici préservé du béton ?


jeudi 26 juillet 2012

André Chastel, sur l'urbanisme

André Chastel (1912-1990) est considéré comme l'un des plus éminents historiens de l'art français. De 1945 à 1990, ce professeur au Collège de France publia régulièrement des chroniques dans Le Monde. L'extrait suivant, rédigé au sortir de la seconde guerre mondiale, alors que la France devait se reconstruire, est issu de l'une de ces chroniques.

« L'importance des nouveaux plans – et de ceux qui vont suivre pour les villes non sinistrées – est décisive : s'ils ne sont pas suivis, le saccage et l'enlaidissement de la France vont se poursuivre à un rythme accéléré ; s'ils sont suivis, il y a une chance d'éviter le désordre et l'avilissement, dans la mesure où ils auront su les prévenir. L'urbanisme en effet n'est pas seulement aménagement des villes dans l'espace, mais encore, si l'on peut dire, dans le temps, car il doit tenir compte du passé et préparer l'avenir. Il a une responsabilité devant l'histoire : qui n'aperçoit aujourd'hui à la fois les bienfaits et les erreurs des travaux d'Haussmann ?
Le meilleur moyen de réussir dans la tâche de mise en ordre n'est pas de mépriser les vieilles ordonnances, les édifices anciens et les vestiges d'architecture. On voit si un urbaniste a « compris » une ville, à la manière dont il utilise ces souvenirs ; rien d'authentique ne saurait être fait sans une certaine sensibilité aux forces lentes et obscures qui d'un humble chemin ont fait une rue mouvementée, d'une grotte un sanctuaire, d'un rocher une plate-forme spectaculaire. Les plus heureuses perspectives sont dues à une arbre centenaire, à un décrochement, à une sculpture placée avec goût : quel urbaniste eût su les prévoir ? Il ne faut pas avoir l'orgueil de se substituer à la vie ; c'est déjà beaucoup que de savoir ne pas la gêner dans son épanouissement. Et le meilleur moyen de réussir dans un domaine si délicat c'est, en accueillant toute la modernité possible, d'être fidèle à tout le passé possible, c'est d'assumer à la fois son temps et la tradition véritable. Mais, dira-t-on, convient-il d'en exiger tant des urbanistes ?
Les édifices anciens suggèrent souvent des partis qu'on ne trouverait pas sans eux ; ils ennoblissent une place marchande, ils fixent une perspective essentielle, ils orientent les monuments. Ainsi un grand nombre de plans nouveaux s'efforcent-ils de restituer à l'intérieur de chaque ville quelques ensembles monumentaux dont les témoins, les animateurs sont souvent une église, un hôtel de ville, un château ancien, plus rarement une construction nouvelle. (...) »

André Chastel, 26 juin 1947 ; Architecture & patrimoine - Choix de chroniques parues dans Le Monde, Éditions du Patrimoine (2012)

samedi 14 juillet 2012

Ministère de la Culture, 182 rue Saint-Honoré [1919]


Il n'est pas toujours nécessaire d'en passer par le bulldozer pour annihiler le passé, c'est ce que nous enseigne aujourd'hui l'étrange façade située au coin des rues Saint Honoré et Croix des Petits Champs dans le 1er arrondissement. Depuis 2004, il ne reste quasiment rien de l’œuvre de l'architecte Georges Vaudoyer, rien du moins qui s'offre clairement au regard du passant. Ce bâtiment  en pierre et vastes baies vitrées est en effet désormais le prisonnier d'une bien étrange armature métallique.

Le Ministère de la Culture avant travaux (photo de Hervé Abbadie)




Construit en 1919 comme réserve pour les Grands Magasins du Louvre jadis situés de l'autre côté de la rue Saint Honoré, l'immeuble est racheté en 1933 par le Ministère des Finances, qui l'agrandit en 1960 en construisant derrière celui-ci un second bâtiment donnant sur la rue Montesquieu. L'ensemble forme l'îlot dit des Bons Enfants, du nom de la rue située à l'ouest du pâté de maisons.

Lorsqu'en 1989 les différents services du Ministère des Finances sont réunis dans le hideux paquebot de béton de Bercy, c'est le Ministère de la Culture, dont le cabinet du ministre est tout proche, rue de Valois, qui hérite des bureaux de l'îlot des Bons Enfants.

L'heure est à la réhabilitation, et quelques années plus tard, un projet d'uniformisation des façades est adopté. Il s'agit d'« harmoniser » l'aspect des deux bâtiments, marier le style classique du bâtiment de Vaudoyer avec la modernité déjà vacillante de l'ouvrage bétonneux de l'architecte Lahalle construit en 1960. Le mariage est confié à Francis Soler dont le projet est d'entraver les deux façades dans un gribouillis d'acier inoxydable destiné à apporter de la cohérence à l'ensemble.


La mission fut si bien accomplie que les descendants de Georges Vaudoyer poursuivirent l'État et l'architecte responsable des méfaits, réclamant la suppression du grillage en acier qui, selon eux et sans doute bien des promeneurs, défigure l’œuvre de leur grand-père. La justice reconnut le préjudice, « en raison de la présence d'un élément venu porter atteinte à l’œuvre d'un créateur sans impératif esthétique, technique ou juridique », tout en se refusant à obliger l'État à retirer la structure parasite portant légalement atteinte à ladite œuvre...

L'immeuble de 1960, après « réhabilitation »

vendredi 6 juillet 2012

Autour de la place d'Italie [1864]

Au premier plan à gauche, l'îlot situé entre la rue Bobillot et l'avenue d'Italie en 1950
(photo de Roger Henrard)

Depuis une quarantaine d'années, de part et d'autre du square de la place d'Italie, se livre un affrontement sourd entre deux mondes aux antipodes. La place présente deux visages au promeneur : au nord, occupant deux bons tiers du périmètre entre la rue Bobillot et le boulevard Vincent Auriol, avec dans son axe la belle mairie du 13ème arrondissement, c'est le monde d'hier ; au sud, minoritaire dans son occupation au sol mais dominant le quartier verticalement, le monde moderne se dresse face à 150 ans d'histoire. D'un côté, des façades haussmanniennes en matériaux traditionnels, de l'autre, blocs de béton et verre aux dimensions démesurées. Élégance et charme au nord, arrogance et médiocrité en vis à vis.

A gauche, un immeuble aujourd'hui démoli, en 1950
(photo d'Edith Gérin)

Sur cette place aujourd'hui détestable dès lors qu'on pointe son regard vers le sud, il semble pourtant avoir fait bon vivre. Ainsi, le pâté de maisons inséré entre la rue Bobillot et l'avenue d'Italie était semblable à ses voisins. On y trouvait encore dans les années 50 – comme le montre ci-dessus la photo d'Edith Gérin (1) – de la pierre et des petits commerces de bouche traditionnels.

Le centre commercial "Italie 2", dessiné par l'architecte japonais Kenzo Tange
A cet endroit précis, on voulut un temps édifier un gratte-ciel de plus de 200 mètres de hauteur (la tour « Apogée »), avant que le projet ne soit interdit par l'État en 1975. Son promoteur, après avoir extorqué des indemnités colossales aux pouvoirs publics, revit ses prétentions à la baisse en construisant le centre commercial « Italie 2 », et c'est en quelque sorte une moindre désolation que cette façade de verre surplombée d'une tourelle tarabiscotée aux prétentions artistiques plutôt absconses. Le petit commerce de bouche a laissé place à la consommation de masse, et le monde moderne ne tardera pas à dévorer l'ensemble de la place, au train où vont les choses.


lundi 2 juillet 2012

La gare de la Bastille, place de la Bastille [1859-1984]


La gare de la Bastille (ou gare de Vincennes) fut pendant plus de 100 ans le point de chute des visiteurs en provenance de la banlieue est de Paris.  Dessinée par l'architecte François-Alexis Cendrier (tout comme la gare de Lyon, non loin d'elle), la gare de la Bastille s'étendait sur près de 250 mètres entre la rue de Charenton et la rue de Lyon.


Durant ses trente premières années de service, la ligne de Vincennes fut progressivement prolongée, jusqu'à rallier en 1892, la commune de Verneuil-l'Étang en Seine et Marne. Les trains à vapeur circuleront jusqu'à la fin de l'année 1969, date à laquelle la gare est désaffectée et la ligne de chemin de fer démantelée au profit de la nouvelle ligne de RER A.


Les anciens bâtiments de la gare de la Bastille accueillent des expositions jusqu'au début des années 1980 où, suivant la volonté du président Mitterrand de doter Paris d'un nouvel opéra, le site est choisi pour la construction de l'opéra Bastille. La gare de la Bastille est démolie en 1984, et le nouvel opéra, conçu par l'architecte uruguayen Carlos Ott, est inauguré cinq ans plus tard.

L'opéra Bastille, inauguré en 1989

dimanche 1 juillet 2012

La mairie des Batignolles, 16/20 rue des Batignolles [1847-1970]

L'ancienne mairie des Batignolles
Inaugurée en 1849 alors que le village des Batignolles n'était pas encore rattaché à Paris, la mairie fut dessinée par l'architecte Paul-Eugène Lequeux, à qui le quartier doit également l'église Sainte Marie des Batignolles, au bout de la même rue, face au square du même nom.

Ce beau bâtiment dominé par un grand campanile, construit en pierre de taille, était orné de manière étonnamment riche pour une commune d'alors à peine 20.000 habitants : horloges, pilastres, frontons soutenus par des consoles surplombant les fenêtres de l'étage médian, ainsi que trois plaques de marbre rouge sur lesquelles étaient inscrites en lettres dorées les dates de construction (« Commencé en 1847 » et « Terminé en 1849 »), et l'affectation de l'édifice au centre (« Mairie des Batignolles », remplacé par « Ville de Paris » après l'annexion).


A l'annexion des Batignolles en 1860, le bâtiment devint naturellement la mairie du 17ème arrondissement dans lequel le village était englobé. Mais dès 1940, à mesure que l'arrondissement se développe, les locaux sont bientôt jugés trop exigus, et l'emplacement trop excentré dans l'arrondissement. Des projets d'agrandissement et de reconstruction se succèdent alors durant trois décennies. En 1952, le campanile – qui, dit-on, menaçait de s'effondrer – est abattu. A la fin des années 1960, il est décidé de reconstruire une nouvelle mairie. L'ancien bâtiment est démoli en 1970, laissant place, depuis, à un bloc de béton massif, à juste titre considéré comme le furoncle de la rue des Batignolles par bien des promeneurs.

La mairie construite en 1972 par les architectes Favre et Burc

vendredi 29 juin 2012

Le Gaumont Palace, 1 rue Caulaincourt [1899-1972]

L'Hippodrome de Montmartre, vers 1900

Édifié en 1899 pour l'Exposition Universelle 1900, l'Hippodrome de Montmartre était une salle où se tenaient des spectacles de genres divers, de cirque comme de football, sous un vaste chapiteau métallique qui s'étendait jusqu'aux limites du cimetière de Montmartre, plus au nord, capable d'accueillir environ 5000 spectateurs (voir photo 4).

1912, l'Hippodrome est devenu le cinéma Gaumont-Palace

Dès 1907, la salle accueille des projections cinématographiques, avant de devenir officiellement une salle de cinéma lorsque Léon Gaumont la rachète en 1911. L'Hippodrome devient alors le Gaumont Palace, salle de projection unique aux vastes dimensions. 

En 1930, le cinéma est profondément transformé, la façade cède à la mode Art Déco

Au début des années 1930, le bâtiment est profondément transformé. La belle façade de style Beaux-Arts disparaît pour laisser place aux formes anguleuses de la mode Art Déco qui sévit à l'époque. Le Gaumont Palace se vante alors d'être le plus grand cinéma au monde, avec sa capacité de près de 6000 places.

Vue du chapiteau, après 1930

Après une soixantaine d'années de succès populaire, le Gaumont Palace n'attire plus les foules. Le site est vendu à la hâte en 1972, et démoli l'année suivante pour y construire le centre commercial de sinistre aspect qu'on connaît aujourd'hui.

Le centre commercial "Les arcades" qui remplace depuis 1973 le Gaumont-Palace...

jeudi 28 juin 2012

Avant de commencer...


Des étroites rues moyenâgeuses aux grands boulevards haussmanniens, des maisons à colombages aux façades en pierre de taille fastueusement ouvragées des immeubles de la fin du 19ème siècle, Paris s'est métamorphosé au fil du temps. De son cœur historique à ses faubourgs, puis aux villages annexés en 1860, Paris s'est aussi considérablement étendu au rythme de son développement démographique et économique.

L'idée d'un Paris figé dans le temps et dans l'espace est de fait contre-nature : toute ville se renouvèle au cours des siècles. Ces mutations successives ont toujours été accompagnées des critiques d'une partie des observateurs contemporains, mais si l'attachement à un patrimoine séculaire tend souvent à prôner une préservation inconditionnelle de tout ce qui constitue notre héritage, de nos jours, la question n'est plus tant de préserver l'existant que de nous protéger du remplaçant.

Car à tant vouloir rompre avec toute influence du passé, l'architecture moderne a atteint un tel niveau d'aberration et de capacité de nuisance qu'elle est devenue une menace pour l'identité de Paris. Les projets démesurés de ces trente dernières années ont à l'évidence sérieusement ébranlé l'intégrité de la ville, mais nous n'avons malheureusement encore rien vu. De ville horizontale, les promoteurs s'entêtent à faire de Paris une ville verticale, semblable à toutes les villes sans Histoire du monde moderne. La plaie encore béante causée par la Tour Montparnasse n'a pas servi de leçon, les projets d'architectes toujours plus mégalomanes se multiplient et Paris semble condamné à s'aligner sur les standards internationaux, à perdre cette singularité qui aujourd'hui encore en fait la ville la plus aimée au monde. De ville influente, Paris est devenu ville suiveuse. Et à ce rythme, de ville chérie, Paris ne tardera pas à devenir ville honnie, en premier lieu de ses habitants, dont le cadre de vie est sérieusement menacé par le dogme imbécile du progrès et l'appât du gain d'une minorité nuisible.

Ce blogue, dans une démarche partisane parfaitement assumée, s'attachera entre autre à exhumer le Paris d'hier, le Paris perdu dans la poussière des bulldozers...